Le quotidien dans la presse de 1931
        
L'EST REPUBLICAIN du mercredi 12 août 1931:
Dans l'Est, comme dans la région parisienne des hauts-fourneaux sont éteints
              des milliers d'ouvriers licenciés. Travailleurs occupés et chômeurs  doivent lutter en commun contre le plan de famine du patronat.
        Comme dans les grandes usines de la  région parisienne, dans l'Est, au pays du fer et de l'acier,  le chômage s'accentue... De nombreux licenciements se  produisent et, parallèlement le patronat renforce, précise  son attaque contre les conditions de vie de ses exploités.
La mort lente des hauts-fourneaux
Réduisant leur production,  exigeant une allure plus vive de la cadence du travail, les magnats  du fer et de l'acier sont, malgré cela, obligés de  laisser éteindre des hauts-fourneaux.
Déjà à Frouard,  à Moulaine, à Saulnes, plusieurs se sont tus. Leurs  hautes flammes ne rougeoient plus les nuit sombres.
D'autres usines sont aussi durement  touchées; les administrateurs menacent de fermer leurs portes,  notamment à Gorcy.
Partout la vague de chômage  monte, frappant les familles ouvrières, par centaines, semant,  dans les foyers, la misère noire.
          A Mont-Saint-Martin, à la «  Chiers », 1.000 à 1.500 ouvriers ont été  licenciés. Aux fonderies de Foug, la semaine dernière,  il y eu plus de 200 renvois.
A l'usine des Forges et Fonderies de  Montataire, à Frouard également, de nombreux  licenciements ont eu lieu; dernièrement, plus de 139  travailleurs ont été congédiés. Après  quoi, la direction, poursuivait son plan d'asservissement et de  famine, d'autres ouvriers furent embauchés pour les laminoirs  au salaire de 32 francs par jour, et, pour la dolomie, à 21  francs.
Aux Forges de Champigneulles, une  fournée dut être supprimée.
        
Partout, le sombre tableau du chômage et de la misère
Et notre hebdomadaire communiste, la  Lorraine, dresse, en examinant la situation de la région de  l'Est, le tableau suivant de la crise:
Tout est touché dans notre  région, les mines ferment ou diminuent leur personnel.
Des verreries, comme Gallé, ne  travaillent plus que quatre jours par semaine; d'autres, comme  Delatte, ont fermé leurs portes ou renvoyé un nombreux  personnel, comme à la Cristallerie.
Dans l'alimentation, par suite de la  sous-consommation, la crise apparaît et les Brasseries de  Champigneulles parlent de centaines de renvois d'ici peu.
Dans la chaussure et les produits  chimiques, renvois et travail au ralenti. Le bâtiment, lui  aussi, commence à liquider le personnel, et les carrières  de Maxéville et de Xeuilley diminuent les salaires; les  licenciements sont nombreux (18 renvois la semaine dernière à  Maxéville, et 30 cette semaine à Xeuilley).
        
Tandis que les coffres-forts des capitalistes regorgent de millions
Pressurant leurs exploités,  renforçant la rationalisation dans leurs usines, les  capitalistes de l'Est essaient de faire payer aux ouvriers les frais  de la crise actuelle...
… tandis que des millions, fruit  du travail volé aux ouvriers, gonflent leur coffres-forts.
Rappelons que, pour quatre grosses  sociétés de l'Est, les exercices 1929-1930 ont permis  d'accumuler plus de 123 millions de bénéfices.
Les forges et Aciéries du Nord  et de l'Est viennent en tête, avec 39 millions 978.000 francs;  les hauts-fourneaux de la Chiers, avec 29.899.000 francs; la Société  Lorraine minière et métallurgique, avec 16.756.000 fr.,  et les Hauts-Fourneaux et Forges de Pompey, avec 6.471.000 francs.
        
Travailleurs occupés et chômeurs luttez ensemble !
Lorsqu'on connaît déjà  le misère qui règne parmi la classe ouvrière de  cette région industrielle, les bas salaires, la dure peine des  milliers de travailleurs, mineurs de fer, métallos, etc... on  peut, sans peine, concevoir les résultats du chômage  dans les foyers prolétariens.
C'est contre quoi se dressent les  organisations communiste et unitaire de cette régions.
Leur tâche est ardue, ils ont à  combattre un patronat dont la rapacité n'est plus à  décrire. Solidement organisés, les magnats du fer et de  l'acier ne mettront les pouces que devant la force, et, cette force,  la classe ouvrière ne peut l'atteindre que par l'union autour  des ses organisations révolutionnaires et la lutte.
C'est pourquoi, chômeurs et  travailleurs occupés doivent se dresser, former un bloc  unique, lutter et revendiquer ensemble s'ils veulent arracher leurs  revendications, s'ils veulent manger demain.
        
Les revendications des métallos
Les travailleurs de France ne  sauraient rester indifférents devant la lutte des métallos  de l'Est. Ceux-ci essaient de briser le cercle d'esclavage et de  famine du patronat.
Et leurs revendications principales  permettent justement de réaliser le bloc des sans-travail et  de ceux que l'usine occupe encore.
Les métallos de l'Est exigent d'abord la garantie des  salaires et la suppression des licenciements.
La garantie des salaires, contre leur réduction et pour leur  rajustement aux nouvelles conditions de travail et du coût de  la vie.
La journée de sept heures, tournée de six heures dans  les usines à feu continue.
Le repos hebdomadaire et la suppression des tournée de seize  heures.
Les métallos exigent , par ailleurs, des congés  annuels payés de trois semaines pour les services insalubres,  et de quinze jours dans les autres travaux.
 
        
Et l'action des chômeurs
Pour obtenir ces revendications, les métallos de l'Est  doivent s'organiser et lutter. Tout comme les sans-travail, s'ils  veulent obtenir des allocations vitales de chômage.
Car, dans l'Est, comme dans beaucoup de régions, les  municipalités n'en distribuent pas. Les caisses de chômage  n'existent pas ou ne sont pas ouvertes.
Et, pour leur pain, pour vivre eux et leur famille, les sans  travail doivent s'organiser, former leur comité de chômeur,  rester en contact avec les organisations syndicales unitaires, lutter  avec elles.
Ce n'est que de cette façon qu'ils pourront obtenir  l'ouverture des fonds de Chômage, des allocations suffisantes  pour vivre, et jeter bas le plan d'esclavage des magnats de la  sidérurgie de l'Est.
L'HUMANITE du samedi 29 août 1931:
LA PREPARATION DE LA GUERRE
 Les nuages de gaz sur Pompey
          150 avions au-dessus de Nancy, ouvriers suffoqués par les  émissions fumigènes, communiqués du G.Q.G.,  censure, rien ne manque à l'évocation de la  « prochaine »
(DE NOTRE ENVOYE SPECIAL)
 Nancy, 28 août. - (Par téléphone) – A l'heure  où je téléphone, la manœuvre bat son plein.  Déjà dans la journée, des émissions de  fumigènes avec des engins différents de ceux employés  à Pompey, ont eu lieu sur le plateau de Malzéville.
        Dix heures trente. Lugubre. Le tocsin a retenti. Les sirènes  ont sonné l'alarme. Depuis deux heures déjà la  ville est plongé dans l'obscurité la plus complète.  Les magasins, les cafés ont baissé leurs devantures de  fer. Les tramways et les autos ont apaisé l'éclat de  leurs phares à l'aide d'une couche de peinture bleue. Des  avions « ennemis » sont signalés...
La canonade ébranle l'atmosphère de tous côtés.  Les engins de défense anti-aériens font retentir le  fracas de leurs explosions. Les projecteurs percent les ténèbres  de leur éclat éblouissant. Parfois un avion apparaît  et, dans l'éclair de son sillon lumineux, le vrombissement des  moteurs perce de temps en temps le concert de l'artillerie. Des  fusées lumineuses lancées par les avions simulent les  bombes.
Dans les rues, la population angoissée essaie de deviner quelque chose dans les manœuvres qui se déroulent. Tous les regard sont dirigés vers le ciel. Par moment circulent des groupes de gendarmes et d'agents de police casqués. Des encombrements de véhicules se forment dans la nuit. Demain on comptera les accidents !
Dans les grands cafés, des hauts-parleurs de la radio nasillent des airs patriotiques pour ranimer le moral. Partout les vitres des établissements de nuit sont peintes en bleu. Dans les bars, des abat-jour en papier bleu atténuent l'éclat des lampes dont l'éclairage est fortement réduit. Défense de faire de la lumière sous peine de procès-verbal ! Tels sont les ordres de la municipalité et de l'Etat Major.
Des groupes de scouts parcourent les rues, armés de tout un arsenal d'appareils bizarres. Des brancardiers simulent le sauvetage des habitants atteints par l'éclat des bombes ou par des gaz imaginaires.
 Autour des abris des « sauveteurs » s'affairent les  infirmiers. Dans l'abri pour cinquante personnes à la rue  Sain-Léon, les sauveteurs simulent le transfert des blessés  pendant que les pompiers feignent de conjurer un incendie qui serait  allumé par des bombes incendiaires.
Le canon tonne avec rage...
11 h. 15. Les autos circulent, tous phares éteints.
-Il y a de quoi avoir honte d'être Français...dit à mon côté une ouvrière, traduisant ainsi en termes primitifs sa haine de la guerre.
 Et la radio de la brasserie Universelle entonne: Vous n'aurez  pas l'Alsace et la Lorraine..
C'est la guerre pour rire aujourd'hui ! ...Mais demain?
 
        
LES MANOEUVRES DE LA JOURNEE
Nancy, 28 août. - (Par téléphone.) - La saisie scandaleuse de mes deux télégrammes d'hier, m'oblige à revenir sur les expériences qui ont été effectués aux Hauts-Fourneaux de Pompey. Avec cette saisie il ne manque rien aux manœuvres aériennes de Nancy pour qu'elles évoquent très exactement la prochaine guerre.
 Il y avait eu des gaz. Des ouvriers intoxiqués avaient du  être transportés dans une ambulance à leur  domicile et à l'infirmerie. Plus d'un millier de travailleurs  constituant une équipe de l'usine de Pompey avaient souffert  des émissions fumigènes. Dans le village, des femmes  portant leur enfant sur les bras s'étaient enfuies devant le  nuage... Il ne restait qu'à voire apparaître la censure.
Laval, le cynique maquignon des intérêts de la  bourgeoisie française, la fit appliquer contre notre journal.  Mon premier envoi télégraphique a été  transmis à Paris à 20h.30; le deuxième à  20h.50 (ces indications m'ont été fournies par  l'employé chargé du service de nuit à Nancy. Le  soir à minuit, ils n'étaient pas encore remis à  nos bureaux. L'employé du bureau télégraphique  de la Bourse de Paris ne les avait point encore reçus à  23h.15 ! Ce soir, ils n'avaient toujours pas été remis.
        Bien entendu, dans toute la presse bourgeoise et « socialiste » d'aujourd'hui, pas un mot sur l'accident. L'Humanité pouvait seule renseigner les travailleurs, c'est pour cela que, par  ordre gouvernemental, on a essayé d'étouffer la grande  voix du journal de la classe ouvrière.
 
        
Comment on efface une usine
 Les bâtiments des  hauts-Fourneaux de Pompey qui occupent près de 3.000 ouvriers,  longent la Moselle sur une distance de 3 kilomètres. Vers 9  heures du matin, une quinzaine de voitures automobiles transportèrent  sur les lieux le maréchal Pétain et huit généraux,  parmi lesquels Mittelhauser, Goys, etc., ainsi que le préfet  de Meurthe-et-Moselle.
Un grand car de la compagnie des tramways, qui suivait le cortège,  conduisait des officiers supérieurs au nombre d'une trentaine,  et des attachés militaires des nations vassales de  l'impérialisme français.
Ces messieurs venaient jeter un coup d'œil sur les derniers  préparatifs. Les appareils fumigènes étaient  disposés tout autour de l'usine. Il y en avait trois rangées;  l'une était disposée sur la rive de la Moselle; l'autre  s'alignait le long de la voie ferrée; la troisième  enfin était placée dans la partie centrale de l'usine.  Des engins disposés transversalement complétaient  l'illusion, tous les 250 mètres. Les fusées affectaient  la forme de tubes de 12 centimètres de diamètres et 50  centimètres de hauteur.
A 9h.30, les sirènes de l'usine mugissent. Déjà  tous les officiers constituant l'état-major s'étaient  réfugiés sur les hauteurs de la ferme de Clévant  – la fumée incommode ces Messieurs, sans doute.
 
        
Dans les « ténèbres blanches »
 Aussitôt, des soldats munis  de masques, du 403e  D.C.A. Allumèrent les engins. Une fumées noirâtre  qui prenait en s'élevant la couleur opaque d'un nuage, envahit  toute l'usine. Il était impossible de ne rien distinguer à  un mètre devant soi. Instinctivement les hommes portèrent  leur mouchoir sur la bouche. Cette précaution élémentaire  était totalement inutile. D'ailleurs voici ce que me disaient  à ce sujet les gars que j'ai interrogés devant la  boîte. J'avais déjà rapporté ces  conversations dans les télégrammes que Laval a donné  ordre de nous voler ....  ..... ....  ....  ....
        « Le gaz à odeur de  phénol, avait un goût douceâtre dans la bouche. Il  brulait les tissus en pénétrant dans les poumons.  Certains essayaient d'échapper à la suffocations en  s'élevant sur une hauteur, d'autres s'allongeaient sur le sol.  Leurs précautions furent vaines. Seuls quelques-uns qui se  trouvaient autour d'une bouteille d'oxygène employée  pour la soudure autogène, eurent la bonne idée d'ouvrir  le robinet. Il purent respirer un peu plus librement...
Des plaintes s'élevaient dans ces ténèbres blanches. Au chantier des Algériens une légère panique se produisit... Et toujours dans l'opacité du brouillard, impossible de fuir...»
 Fort heureusement, chassé par un vent léger, le nuage  fut dissipé au bout d'une vingtaine de minutes. La sirène  retentit alors deux fois.
c'est à ce moment là, ainsi que nous l'avons dit  hier, que les ambulances vinrent chercher les ouvriers qui étaient  atteints aux poumons – parmi eux se trouvaient des gazés de  la dernière guerre – qui n'avaient pu supporter les  émanations nocives.
Nous avons dit aussi comment le nuage, chassé par le vent,  envahit la petite cité de Pompey, provoquant chez certains  habitants des troubles dangereux et une légère panique.
 
        
L'opinion de la « grande presse »
Pas un seul journal ne souffle mot sur l'intoxication subie par les ouvriers de Pompey. Un seul pourtant, l'Eclair de l'Est est obligé – pour conserver sa clientèle, de lâcher cet aveu. C'est l'envoyé spécial, Jean Hérold, qui écrit textuellement ceci: « Restons quelques instants dans l'usine... sans aller trop loin... et allons-nous en, car la gorge commence à picoter. Nous toussons... il vaut mieux s'en aller. C'est ce que nous faisons...»
 Fraîches et joyeuses sont  apparues ces choses à Raymond Cremès à l'Est  Républicain:
        « Les ouvriers et le personnel de l'usine ont suivi avec  gaité et entrain les diverses phases de l'émission qui  a été forte intéressante. »
C'est parfait, dit le Populaire, « l'expérience avait réellement donné les résultats qu'on attendait »
 Le Matin écrit : « Dès que la sirène se  fit entendre, TOUS LES OUVRIERS MIRENT DES MASQUES et un voile épais  ne tarda pas à s'élever. »
Or les ouvriers n'avaient point de masques. On ne leur en avait  point donné , de crainte qu'ils les gardent, car c'est très  utile, les masques, étant donné l'expérience  actuelle, si lourd de menaces pour le prolétariat...
Comprenez-vous, à présent, camarades, pourquoi on avait essayé de bâillonner l'Humanité ?
 
        
Celle du G.Q.G.
 Quand je vous disais qu'il ne manquait rien pour évoquer la  « prochaine ». Nous avons aussi tous les soirs le  communiqué. Voici l'opinion officielle de l'état-major  sur les opérations d'hier à Pompey : « Une  expérience de camouflage par gaz fumigènes a eu lieu de  9h.30 à 10h.30 aux usines de Pompey, en présence de M.  le Maréchal Pétain.
        Un nuage dense, rapidement formé, a complètement  dissimulé aux yeux, pendant une demi-heure, cet important  établissement industriel.
          Le maréchal Pétain, à la suite de cette  expérience, est rentré à Nancy après  avoir inspecté la section des ballons de protection de  Liverdun. »
... Sur le reste du front, rien à signaler...
Maurice LEBRUN
L'EST REPUBLICAIN du dimanche 13 décembre 1931:
        — Paul-Henri Marchal, 32 ans, avait quitté son travail à Frouard le 30 octobre, vers 19 heures, et regagnait à motocyclette son domicile à Marbache, lorsqu'en passant à Pompey, il renversa et blessa M. Mené Rousseaux, 37 ans, demeurant aux cités de la Gare, qui se rendait à la fontaine.
        ..M. Rousseaux eut la jambe fracturée, et dut être transporté à l’hôpital où il est encore en traitement.
        ..Par l'intermédiaire de Me Adrien Sadoul, le blessé se porte partie civile. Me Charles Gérard présente la défense du motocycliste, qui est condamné à 55 francs d'amende. De plus, il devra verser une indemnité provisionnelle de 2.500 francs à M. Rousseaux, en attendant l’expertise médicale confiée à M. le professeur Michel.