



Ce témoignage est un extrait du journal de route d'un engagé volontaire : André Cambounet. Né le 3 février 1899  , il s'engage le 26 janvier 1916. Intégré au 16ème Régiment d'Infanterie, il notait dans un journal chaque jour qui passait. Ce document  a été retranscrit par son petit-fils.
		  Dans cette page ne sont relevés que les moments de son séjour sur Pompey. Le récit est  disponible en totalité  sur Internet sur le site : http://www.muad.com/andre/andre.php
Nous sommes en 1915,
« Le 15 novembre, je quitte Paris, après douze jours de permission. Je dois rejoindre la gare de Frouard, où l'on m'indiquera l'endroit exact où se tient mon bataillon.
Lorsque j'y arrive, on m'envoie à  Pompey, le patelin voisin, à douze cent mètres de là. Le régiment  s'y trouve depuis le premier novembre, transporté en camions-autos.  Je m'installe et je visite le pays. Il y a une usine de guerre qui  fabrique les obus, des plaques de blindage, des rails de chemins de  fer. C'est la première fois qu'il m'est donné de visiter pareil  spectacle, aussi je m'y intéresse.
      
       D'ailleurs,  il y a repos le 17, car le régiment vient d'obtenir la fourragère  aux couleurs du ruban de la croix de guerre, et le lendemain 18, qui  est un dimanche, nous avons également journée libre.
  
       Le  lundi, je vais avec une dizaine de poilus collaborer à la  construction d'une sape, destinée à abriter les poilus qui  s'occupent du projecteur contre avions, se trouvant à proximité de  l'usine. On ne se la foule pas de manière à ne pas se fatiguer et  nous rentrons pour la soupe du soir.
  
       En  rentrant de permission, je n'ai pas trouvé de place dans le  cantonnement, et j'ai dû suivre l'exemple de deux poilus, revenus la  veille : aller loger dans la cave. On y est aussi bien qu'en haut, et  je dirais même mieux, car les civils y ont descendu des lits et des  sommiers et sauf l'absence de matelas et de draps on pourrait se  croire dans le civil.
  
       Le soir et  le matin, aucun bruit ne vient nous déranger et on peut dormir  tranquilles...
  
       Le lendemain  matin, je vais à la visite pour me faire piquer contre la variole.  Toute la compagnie y passe.
  
       Les  jours s'écoulent tranquillement.
  
       Le  jeudi, je prends la garde à l'usine. Pas grand' chose comme service.  Nul besoin d'armes. On se tient à la porte d'entrée des ouvriers et  on empêche les étrangers d'entrer... Lorsqu'on n'est pas à la  porte, on va dans l'usine se promener et admirer le convertisseur  Boessmer, dont la flamme éclaire toute la ville, les tracteurs  transporteurs de rails, les wagonnets chargés du métal en fusion,  les fours actifs, et enfin toutes les parties qui composent une usine  en pleine activité.
  
       Le  lendemain matin, on est relevés et on rentre au cantonnement,  heureux d'être débarrassés d'une corvée qui, quoique n'étant pas  bien désagréable, n'en reste pas moins une corvée.
  
       Ayant  vu pendant mes heures de garde des poilus qui travaillaient à  l'usine, je me renseigne, car je voudrais en faire autant et l'argent  gagné me servirait pour mon tabac et pour améliorer sensiblement  l'ordinaire.
  
       Les noms des poilus  ont été pris au bureau et ils y vont par ordre. D'ailleurs ils ne  doivent plus en inscrire d'autres. Tant pis, l'occasion est  perdue.
  
       Le soir, après la  soupe, je vais le promener mélancoliquement vers l'usine toujours en  pleine activité et quelle n'est pas ma stupéfaction en voyant des  poilus y entrer. Ma foi, je fais comme eux. Ils se dirigent vers une  cabane qui se trouve à cinquante mètres de la porte d'entrée et où  se tient un surveillant.
  
       J'écoute  ce qui se dit. Ils viennent travailler. Si je peux être pris, je  vais faire comme eux, ça ne me fait rien. Le matin, on ne va nulle  part, et dans notre cave nous ne sommes embêtés par personne: on  peut dormir tranquille, aussi tard que l'on veut.
  
       Le  contremaître nous envoie, après avoir pris nos noms, dans une  grande cabane, au centre de laquelle chauffe un grand braséro plein  de coke.
  
       On y reste une heure à  fumer et à causer, puis il revient nous chercher. Nous le  suivons.
  
       Il nous fait prendre  des pelles en passant, puis nous emmène vers quelques wagons remplis  de minerai, qu'il s'agit de vider. Nous nous mettons à la  besogne.
  
       A onze heures, nous  avons fini et nous partons.
  
       Le  lendemain soir, samedi, c'est jour de pays. Je fais comme les autres  et passe à la caisse. Je reçois sept francs quatre-vingts pour un  travail de deux heures et demie environ, mais la chose est facile à  comprendre. Le travail de nuit se paye un franc trente de l'heure et  contremaître nous a inscrit comme si nous avions travaillé de six  heures à minuit... Je ne m'en plains pas, au  contraire.
  
       Pendant deux ou trois  jours, je retourne ainsi travailler, puis le bruit court que nous  allons monter en ligne. Le départ est fixé au mercredi 28 novembre.  La veille au soir, je passe à l'usine me faire régler.
  
       Au  réveil, nous commençons nos préparatifs de départ. Nous montons  nos sacs que nous devons porter de suite au bureau, car nous avons  des fourragères d'artillerie qui vont nous les porter un bon bout de  chemin.
  
       A dix heures, on nous  distribue la soupe et à onze heures, départ. Nous montons dans le  secteur du Grand Couronné de Nancy, à gauche de Nomény, station  terminus du chemin de fer français et ville-frontière avant 1914.
  
       Nous  marchons d'abord en colonne par quatre, en discutant de choses et  d'autres. Les roulantes suivent.
  
       A  seize heures, arrêt général. Nous faisons la grand' halte. Les  artilleurs nous restituent nos sacs et se sauvent.
  
       Nous  mangeons en vitesse, et deux heures plus tard, la nuit déjà tombée,  nous arrivons à Clémery, où nous devons prendre position. Le  secteur est d'un calme absolu. Ne serait-ce les barbelés on se  croirait faisant une excursion de nuit à Laval ou à Saint-Brieuc  !
  
       Les officiers étaient venus à  cheval, faire un tour, la veille, et reconnaître le dispositif.  Chaque chef de section connaissait l'emplacement de combat de ses  hommes. Aussi, en arrivant à Clémery, il n'y a pas  d'hésitation.
  
       Nous, nous  logeons au presbytère. Nous y entrons pendant que les poilus du 154  que nous relevons mettent sac au dos. Nous causons. Ils nous  expliquent que les boches sont au moins à quinze cent mètres, que  le secteur est un vrai filon, un vrai repos, et qu'il n'y a que la  garde et quelques petites patrouilles à fournir... et ils  filent.
  
       Je suis désigné  illico, avec cinq autres poilus pour aller au petit poste du bois  Carré, relever les sentinelles du 154.
  
       Nous  partons accompagnés du sergent Gonnord, et à six cents mètres du  presbytère, en suivant un boyau, nous arrivons au petit poste... Le  bois Carré est un boqueteau de cinquante mètres de côté, dans  lequel se trouvent une demi-douzaine de cabanons en planches. C'est  dans l'un de ceux-ci que le petit poste est installé. Nous entrons.  Il y a quatre poilus et un gradé, assis autour du feu, ainsi qu'un  gros cabot, genre de chien de berger.
  
       Les  poilus, en nous voyant arriver se lèvent, sauf un, qui, ainsi qu'il  se charge de nous l'apprendre, est gardien du cabot et n'a que lui à  s'occuper.
  
       Tout à fait à la  lisière du bois est creusé un boyau, muni de tout le confort  moderne : emplacement pour fusil-mitrailleur, et grenadiers. Le fond  est recouvert de caillebotis, qui sont d'ailleurs bien utiles, car  surélevés, comme ils le sont, ils nous permettent de ne pas marcher  dans l'eau et il y en a bien une trentaine de centimètres dans le  fond.
  
       A gauche du bois est une  sorte de petite guérite, et sur le parapet de la tranchée, appuyée  à un arbre, face aux boches, il y en a une autre plus large, pouvant  tenir deux poilus. Sous la banquette de chaque guérite, il y a une  demi-douzaine de grenades, prêtes à être envoyées.
  
       Et  d'ailleurs, que pourrait-on craindre ? (d'après les types du 154,  naturellement, car nous, nous ne connaissons pas encore le  secteur.)
  
       Les boches sont loin :  quinze cents mètres, on n'a donc pas à craindre les fusils et  certainement ils doivent aimer leur tranquillité, tout autant que  nous aimons la nôtre.
  
       Je suis de  la première faction avec deux autres poilus. L'un de ces derniers  prend à la guérite de gauche, et je prends avec le deuxième, un  nommé Nadeau, en avant du bois.
  
       Nous  nous enveloppons dans nos couvertures, mais il fait pas mal froid et  au bout d'un moment nous devons nous résoudre à faire les cent pas  pour nous réchauffer.
  
       Rien ne  vient troubler nos trois heures de garde, et nous nous distrayons à  écouter le bruit des moteurs des avions boches qui vont jeter des  bombes sur l'usine de Pompey, dont on aperçoit la lueur à  l'arrière, et le bruit des moteurs des avions français allant  également jeter des bombes sur une usine boche dont on aperçoit les  lumières au loin. On voit des deux côtés, les fusants éclater,  sans gêner, en rien, d'ailleurs, la marche des avions. Quelques  temps après, ils reviennent, et on sent à leur manière d'aller, au  bruit que font leurs moteurs qu'ils sont moins chargés. Ils marchent  plus vite et leur moteur va plus régulièrement. Ils se sont  débarrassés, sinon, sur le but projeté, du moins en chemin, des  projectiles qui les alourdissaient...
  
       Quand  les deux autres viennent nous relever, nous rentrons dans la cagna,  tout heureux de pouvoir nous asseoir près d'un bon feu. Une fois  réchauffés, nous nous étalons sur nos paillasses et nous dormons  jusqu'au moment où une des sentinelles vient nous secouer et nous  annoncer qu'il est l'heure... l'heure sombre... où nous devons  retourner à notre guérite. » 
